Entre discours sur la "modernisation" et crise néo-libérale, les villes sont prises dans un mouvement de transformation travaillé par tous les enjeux idéologiques, économiques et politiques liés aux questions de restructuration, réaménagement, requalification, réhabilitation, rénovation, métropolisation etc. Le territoire à transformer est remodelé, remodélisé. Il est alors nécessaire de construire des systèmes de présentation de la nouvelle ville en devenir. Un nouveau récit imaginaire de la ville (story-telling institutionnel) est mis en forme pour rendre acceptable la transfiguration des espaces urbains. Mais les aspects les plus ténus, les plus ordinaires de perceptions vécues, les expériences sensibles de la ville dont on sait qu’elles organisent les modes de représentations des espaces urbains, échappent aux aménageurs, par le simple fait que leur production d'images, de récits et de documents n'est qu'un pré-texte, une histoire écrite avant qu'elle ne s'accomplisse, une fiction dont les représentations (images, maquettes, plans) proposent une anticipation avant que les aménagements ne soient réalisés.
Il y a donc une "archéologie du présent" des formes sensibles des espaces urbains à conduire.
Six villes ont été photographiées, de la mégalopole (Shangaï, Beijin) à la métropole (Saint-Etienne, Tallinn), ainsi qu'une ville moyenne (Nevers) et une commune de 7000 habitants (Péage-de-Roussillon), en privilégiant souvent les territoires à la marge (périphéries, zones péri-urbaines, zones rurales en phase d'urbanisation) qui, parce qu'ils se trouvent à l'orée des villes, posent le problème des limites et des frontières des villes. Ils sont rarement considérés comme des lieux d’expériences de mode de vie et des lieux porteurs d’expérience esthétique du sensible des villes. Pourtant ces situations spatiales sans territorialisation, ces "zones de friction" sont les lieux d’une expérience phénoménologique urbaine non normée. Ce sont des champs de possible à travailler avant qu’ils ne disparaissent dans les systèmes urbains contemporains en cours d’actualisation.
En France, un grand nombre de villes de taille moyenne sont des laissées pour compte des transformations urbaines, sinon lorsqu’elles entrent en réseau avec les grands centres urbains.
Est-ce à dire qu’il ne s’y passe et ne s’y joue rien ?
Si l’on pense que la modernisation urbaine passe par un changement permanent, la réponse à cette question serait affirmative. Oui les villes moyennes telles que Nevers sont tenues volontairement à la marge d’une certaine forme de développement.
Si l’on pense à partir de la perception sensible et esthétique, par contre, il s’y joue des spécificités déjà rencontrées dans d’autres villes.
L'image photographique permet de faire varier le statut des prélèvements : parfois pur enregistrement (document), parfois interprétation du réel (documentaire), parfois perception esthétique (image relevant de l’art), parfois historisation (monument). L'absence d'itinéraire préconçu (de cheminement) lors de la prise de vues permet une réceptivité plus forte aux rencontres visuelles et aux expériences sensibles du territoire. Rien ne vient prédéterminer la vision ni lui donner une orientation ou une signification. Il s’agit de partir à la cueillette des images de la ville, en variant les modes de transport, marche, vélo, train, voiture.
Ce regard "neutre" ou candide, même si au fur et à mesure de la découverte et des parcours une conception du territoire se dégage, s'est transformé par le jeu des associations dans et entre les séries en un récit singulier et assurément subjectif, le texte d'un photographe sur une expérience du chaos.
Les prises de vues ont été réalisées dans le cadre du programme de recherche "Documenter, fictionner un territoire" du laboratoire IRD (Image, Récit, Document) de l'E.S.A.D.S.E.
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